Le droit d’auteur : un pilier négligé de l’industrie musicale haïtienne

Le droit d’auteur : un pilier négligé de l’industrie musicale haïtienne

En Haïti, la musique est bien plus qu’un art : elle est une identité, un moteur culturel et économique. Pourtant, derrière la richesse des rythmes du compas, du rara ou du rap kreyòl, un problème persiste : le droit d’auteur reste largement ignoré. Malgré un cadre légal existant, les artistes haïtiens peinent à faire respecter leurs droits et à vivre de leur création. Quels sont les obstacles à une industrie musicale équitable, et comment y remédier ?

L’industrie musicale haïtienne déborde de créativité. Des artistes comme BIC, Rutshelle Guillaume ou des groupes comme Barikad Crew, Rockfam captivent des audiences locales et internationales. Pourtant, la réalité est sombre : radios, DJ, entreprises et médias exploitent régulièrement des œuvres sans autorisation ni redevances. Cette pratique prive les artistes de revenus essentiels, limitant leur capacité à investir dans leur carrière.

En 2013, Michel Martelly, ancien chanteur devenu président, s’était inscrit au Bureau Haïtien du Droit d’Auteur (BHDA) dans un geste symbolique. À l’époque, il déclarait :

« L’œuvre d’un créateur est un travail à part entière, et tout travail mérite une juste rémunération. »

Malgré cette prise de position, peu de progrès concrets ont suivi à l’échelle nationale et internationale.

Un cadre légal existant, mais inefficace

La législation haïtienne protège théoriquement les droits d’auteur depuis le décret de 1968, qui établit :

– Des droits moraux : reconnaissance de la paternité de l’œuvre, respect de son intégrité et contrôle de sa diffusion.

– Des droits patrimoniaux : droit à l’exploitation économique (reproduction, diffusion, etc.) pendant la vie de l’auteur et jusqu’à 60 ans après sa mort.

Cependant, ce cadre reste lettre morte pour la plupart des artistes. Comme le soulignait Emmanuel Dérivois, ancien directeur du BHDA :

« Le respect du droit d’auteur est une plaie béante en Haïti. Nous travaillons à instaurer une véritable culture de la propriété intellectuelle, mais les défis sont immenses. »

Le manque de sensibilisation et d’application de la loi empêche les créateurs de revendiquer leurs droits.

Des pertes économiques majeures

L’absence d’un système efficace de collecte et de redistribution des droits d’auteur appauvrit directement les artistes. En 2016, l’association Ayiti Mizik estimait que la majorité des musiciens haïtiens ne touchaient aucun revenu lié aux diffusions radio, au streaming ou aux concerts organisés par des tiers.

L’artiste BIC, figure emblématique de la scène haïtienne, confiait :

« Les plateformes numériques internationales m’offrent plus d’opportunités financières que n’importe quelle structure locale. C’est un constat amer. »

Cette dépendance aux plateformes étrangères et l’informalité du marché local découragent les vocations et fragilisent l’économie culturelle haïtienne.

Pourquoi le système dysfonctionne-t-il ?

Plusieurs obstacles structurels freinent l’application du droit d’auteur en Haïti :

– Isolement international : Le BHDA n’est pas réellement affilié à des organisations internationales comme la SACEM (France) ou la CISAC, limitant son influence et ses capacités de collecte à l’étranger.

– Manque de sensibilisation : Les artistes, souvent peu informés, ne comprennent pas toujours leurs droits ou les démarches pour les faire valoir.

– Absence de sanctions : Radios, promoteurs et entreprises utilisent des œuvres sans crainte de conséquences juridiques.

– Sous-financement des institutions : Le BHDA manque de ressources humaines et financières pour fonctionner efficacement.

Malgré ces défis, des initiatives ont émergé quoiqu’il n’obt pas EU un impact durable. En 2019, un accord avec la plateforme Diskòb a instauré un modèle de rémunération de 0,50 gourde par écoute, une première dans le secteur numérique haïtien.

Vers une industrie musicale plus juste

Pour professionnaliser le secteur et garantir une rémunération équitable, des mesures concrètes s’imposent :

– Moderniser la législation : Adapter la loi aux réalités numériques, incluant le streaming (Spotify, YouTube) et les réseaux sociaux (TikTok).

– Former les artistes : Proposer des ateliers sur les droits d’auteur, les contrats et la gestion de carrière.

– Renforcer le BHDA : Doter l’institution de moyens financiers et humains pour collecter les redevances et intégrer les réseaux internationaux.

– Sanctionner les abus : Instaurer des contrôles réguliers et des amendes pour les diffuseurs contrevenants.

Un enjeu collectif

Le respect du droit d’auteur dépasse la seule responsabilité des artistes. Il engage l’ensemble des acteurs de l’industrie musicale : producteurs, médias, plateformes numériques, institutions publiques et même le public. Sensibiliser les auditeurs à l’importance d’une consommation légale de la musique est crucial pour bâtir une industrie durable.

La musique haïtienne, pilier de l’identité nationale, mérite un cadre professionnel où la créativité est protégée et valorisée. Les artistes ne doivent plus être les héros sous-payés d’un système informel. Ils doivent devenir les acteurs centraux d’une économie culturelle dynamique, soutenue par des institutions solides et un public engagé.

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